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User talk:WikiFouf/La Voie lactée

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  • Un timbre dentelé destiné au courrier international sera émis demain et bien des Montréalais le reconnaîtront aisément. Il est constitué des fameuses lèvres de la photographie La voie lactée, de Geneviève Cadieux, qui se trouve bien en évidence sur le toit du Musée d'art contemporain de Montréal, à l'angle des rues Jeanne-Mance et Sainte-Catherine Ouest.
  • La sortie de ce timbre, avec les lèvres de la mère de Geneviève Cadieux, a lieu dans le cadre de la troisième émission philatélique de Postes Canada destinée à marquer 150 ans de photographie. Geneviève Cadieux est honorée en même temps que la Montréalaise Nina Raginsky et l'Anglo-Canadien Harold Mortimer-Lamb.
  • «Ce timbre est un cadeau du ciel, dit Geneviève Cadieux, en entrevue. C'est d'autant plus intéressant que les timbres vont disparaître...»
  • L’œuvre emblématique située sur le toit du Musée d’art contemporain connaît son pendant en France. En 2011, une duplication en mosaïque est installée au métro de Paris, dans le couloir de correspondance entre la station Saint-Augustin et la gare Saint-Lazare. Par le don de l’œuvre à la Régie autonome des transports parisiens (RATP), la Société de transport de Montréal vise à souligner le 50e anniversaire de son réseau, pour lequel le RATP contribua de par son expertise technique dans les années 1960. Ce don rend aussi un clin d’œil à l’Entourage Guimard, cette entrée de métro parisien installée au métro Square-Victoria-OACI en 1967.
  • La Voix lactée accompagne le piéton dans ses déplacements quotidiens, le happe hors de sa grisaille, le projette dans un espace poétique : celui du corps, de la bouche, de la voix, du langage, des mots. Au-delà de son caractère artistique, ce don exprime l’esprit de coopération et de fraternité unissant Montréal et Paris.
  • La Voie lactée, une œuvre de Geneviève Cadieux, fut installée dans le cadre de l'exposition Pour la suite du Monde en 1992, soulignant la réouverture du Musée d'art contemporain de Montréal après sa relocalisation dans le quadrilatère de la Place-des-Arts. Ce n'est qu'en 1995 que l'institution artistique recevra l'œuvre, en donation de l'artiste.
  • La Voie lactée consiste en un panneau lumineux en tous points semblable à un panneau publicitaire : même format, même procédé d'installation et même visibilité. Seulement, pas de slogan publicitaire, aucun ancrage linguistique. Dans cette œuvre, seul un gros plan photographique représentant des lèvres féminines légèrement entrouvertes et portant du rouge à lèvres couvre la totalité de l'espace visuel; l'image s'arrête aux commissures, à la cime et au bas des lèvres. La peau du visage complète l'image. Le gros plan de la bouche est central et largement démesuré par rapport à l'échelle humaine.
  • Le caractère public ressort d'autant plus que le sujet de l'œuvre est, comme nous le verrons, très intime. De prime abord, il ne s'agit que d'une paire de lèvres fardées comparable à celle utilisée pour la vente d'un rouge à lèvres. À ce sujet, mentionnons que l'œuvre à la source de La Voie lactée fut A l'heure de l'observatoire — les Amoureux de Man Ray et que «cette pièce [...] fut vendue une fortune après avoir servi à la publicité d'une marque de rouge à lèvres dans une vitrine de la 5e avenue, à New York ». L'œuvre de Cadieux pourrait donc facilement être une publicité, ce qui nous incite à croire que La Voie lactée relève, au premier niveau d'analyse (c'est-à-dire tel que le spectateur peut l'appréhender sans information et en voyant l'image à la distance à laquelle on l'y contraint), de la sphère publique.
  • «Ce n'est que tout récemment que j'ai compris qu'il y avait un lien direct entre mon travail et celui de Man Ray. C'est à la suite de cela que j'ai créé, à Montréal, une œuvre où j'ai placé des lèvres sur le toit d'un musée : il s'agissait de ma version de Man Ray, A l'heure de l'observatoire — les Amoureux (1932-1934).» Ces propos de Geneviève Cadieux sont tirés de la traduction d'une entrevue avec James Lingwood pour le ICA à Londres, «Entrevue avec Geneviève Cadieux», Le Journal, Musée d'art contemporain de Montréal, 31 mars au 30 mai 1993, p. 2.
  • Toutefois, en s'y attardant un peu plus, le spectateur peut constater que l'image ne montre pas les mêmes lèvres que le ferait une publicité. En effet, l'œuvre présente des lèvres vieillissantes. Il ne peut plus s'agir d'une image publicitaire de cosmétiques, produits permettant à la femme de gommer son âge, lui donnant une apparence plus jeune. vec ce nouvel élément, l'œuvre prend un tout autre sens. En fait, par la représentation des traces du temps, l'œuvre de Cadieux critique le langage publicitaire, plus spécifiquement celui des publicités de cosmétiques. C'est l'artifice du cosmétique (marchand d'illusion, comme traditionnellement l'art, d'ailleurs) qui se trouve pointé par l'œuvre.
  • De façon plus générale, en proposant des lèvres vieillissantes, La Voie lactée commence à déconstruire l'image traditionnelle de la femme parfaite et objet sexuel que la société patriarcale impose. L'apparition des traces du vieillissement chez une femme n'entre pas dans les normes masculines régissant l'image de la femme comme objet sexuel. Mentionnons les propos évocateurs de l'artiste à ce sujet : «dans mon œuvre, les lèvres étaient transgressives en ce sens qu'elles étaient vieillissantes et que le travail était réalisé par une femme. C'était comme si je revendiquais une voix ». En ce sens, cette pièce se rapproche de celles produites à partir des années 80 par, notamment, Barbara Kruger et Jenny Holzer. Elles-mêmes s'inscrivent dans une tradition féministe de la déconstruction qui prône une critique utilisant les outils mêmes de l'oppression patriarcale. Dans l'œuvre de Cadieux, c'est en utilisant la facture des publicités de cosmétiques que l'œuvre déconstruit le regard masculin objectivant sexuellement la femme.
  • En fait, l'image prend une valeur intime uniquement lorsque le spectateur sait que les lèvres en représentation sont celles de la mère de l'artiste. Ce nouvel élément perturbe et enrichit encore plus le sens de La Voie lactée. L'œuvre s'éloigne de l'imagerie impersonnelle du monde de la publicité, pour se positionner dans le regard que porte une artiste sur les lèvres maternelles. La nature de l'image devient ainsi hautement intime. Pour reprendre les mots de l'artiste, «c'était comme si je revendiquais une voix», celle de sa mère. La «transgression» de ces lèvres vieillissantes et associées à la mère de l'artiste constitue une critique encore plus acerbe de l'imagerie de la femme produite par les hommes et pour le plaisir visuel des hommes, transformant l'Autre en un objet sexuel. A moins d'analyser la relation mère-fille d'un point de vue psychanalytique, c'est-à-dire la relation de la fille à son premier objet d'amour, la mère, il est difficile de croire qu'une œuvre, faite par une femme et représentant les lèvres de sa propre mère, puisse proposer comme image la représentation d'un objet sexuel. Néanmoins, lorsque le spectateur regarde l'œuvre sans ces informations préalables, il peut concevoir l'œuvre comme une image sexuelle, comme une partie d'un objet sexuel et pas n'importe laquelle. Selon le théoricien de l'art québécois René Payant, qui s'est penché sur la rhétorique de l'art erotique, la bouche fait partie du vocabulaire restreint de l'érotisme mais surtout de la pornographie. De plus, il faut prendre en considération que le motif de la bouche est aussi sexualisé par l'ajout du rouge à lèvres. Le motif, toujours si les informations concernant l'œuvre ne sont pas prises en considération, est bien d'ordre sexuel, voire erotique. À ce sujet, Sarah Jenning considère que les lèvres de La Voie Lactée «[...] are an erotic come-on.»
  • Dans La Voie lactée, le titre ne réfère aucunement à l'image présentée. Roland Barthes dirait que le titre entretient une relation de relais avec la photographie en cause dans cette œuvre. Le type de relais qu'effectue le titre en est un d'universalisation. Il est vrai que ce titre fait avant tout référence à l'emplacement de l'œuvre dans le ciel montréalais : lorsque la nuit survient, comme la Voie lactée, l'œuvre s'illumine dans le ciel. De plus, le titre comprend le vocable voie, homonyme de voix, rappelant le désir de l'artiste d'offrir une voix à l'œuvre de Man Ray34 . Et encore ici, l'emplacement de l'œuvre n'est pas sans intérêt. En effet, placer conceptuellement la voix maternelle sur le toit de la plus importante institution d'art contemporain au Québec a d'une part pour effet de conférer à l'institution des signes de féminité et, d'autre part, de sanctionner l'importance de l'œuvre. Cependant, la fonction de relais du titre s'actualise davantage par ce qui suit. En nommant la photographie des lèvres de sa mère La Voie lactée, le sens de l'œuvre de Cadieux se déplace pour évoquer deux symboles maternels, celui de mère-nature et celui de la lactation.
  • plus d'analyse

De la cécité (Érudit)

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  • Geneviève Cadieux, La Voie lactée, 1992. Panneau lumineux; 180 x 457 cm. Cette œuvre faisait également partie de l'exposition Pour la suite du monde qui a été présentée du 28 mai au 11 octobre 1992.
  • Cadieux frequently insinuates such a transformation of culturally given meanings that vision, retinal and otherwise, provides with texture and detail. Cadieux’s photographs often require the viewer to move about in order to apprehend them; literally as well as figuratively, this involves a shift of perspective. This is a characteristic of La voie lactée (1991), Cadieux’s billboard-size translucent image of a woman's parted lips on the rooftop of the Musée d'art contemporain de Montréal. Inspiring comparison to Man Ray's surrealist A I'heure de I'observatoire — Les amoureux, (1932-34), and as strategically exaggerated, abstract, consciously composed to overlap, yet not coincide, with the close-up conventions of cinema, La voie lactée was first exhibited as part of the exhibition Pour la suite du monde. The curators then decided to reinforce local cultural political concerns with a critical gloss that acknowledges foreign, national, and international expectations. Citing philosopher Michel Serres, curator Manon Blanchette referred to Cadieux’s piece in the exhibition catalogue in terms of the art system, or a circuit of education, production, and circulation in which the Musée functions ‘as a beacon, as a guiding pole’ (see Blanchette in Godmer and Lussier). Depending on one’s tastes, predilections, and temperament, one can conclude with Blanchette and co-curator Gilles Godmer that photography today is a means of ideological reproduction. One can conclude then that for Cadieux a public, city-bound, and internationally oriented style of representation is an important consideration. But the piece can also direct us to alternative interpretations, among them one that touches on the work's relation to popular culture. The mass media's representation of the ‘two solitudes,” Quebec and Canada - a symbolic and psychological partitioning where the politics of identity flourish - lends Cadieux’s piece a new set of references which historicize and deepen the awareness of culture.
  • Thus, the internationally oriented signification is important, but only one of several possible meanings for the work. However, not everyone reading the work fancies an interpretation which by definition makes no distinction between linguistic, class, and national origin. While theoretically this might seem desirable, the work has far from desirable implications for oppressed and excluded minorities. But if ‘La voix lactée’ is interpreted as referring to the specificities of voice, and therefore to a silenced mother tongue rather than a metaphorical constellation under which we share a common history (‘the milky way’), then what touches me is that Cadieux reveals through the process of displacement that culture requires the exercise of the senses. By looking at La voie lactée this way, I gain an awareness of a history of national languages and cultures that are deaf and blind to one another. That silence can be read as having a specific historical meaning, and as being specifically francophone; it makes sense in the context of the particular politics in Quebec at the time the work was produced. I could go on.
  • La Voie Lactée de Geneviève Cadieux, installée sur le toit du Musée d’art contemporain de Montréal est bien connue des habitants de Montréal. Visible par tous les passants se promenant sur la place des Arts, le panneau lumineux représente une photographie en gros plan d’une paire de lèvres féminines rouges, dans un format qui peut rappeler celui des panneaux publicitaires. Elle tire son inspiration directe de l’œuvre de Man Ray À l’heure de l’observatoire – Les Amoureux, 1934, qui représente les lèvres de la photographe Lee Miller.
  • C’est ainsi que nous vient le jeu de mots : la « voie lactée » devient en quelque sorte la « voie lactée ». Cette référence au langage correspond au message du Musée d’art contemporain qui en ouvrant ses portes se voulait porteur d’une nouvelle « voie », celle de l’art contemporain canadien et montréalais. Par sa « voix », le musée devient porteur d’un nouveau langage qui reflète l’époque dans laquelle nous vivons. De plus, l’œuvre exposée en extérieur, revêt un caractère public en cohérence avec l’art si présent dans les rues de Montréal.
  • L’œuvre a été installée lors de l’exposition du Musée d’Art Contemporain Pour la suite du Monde en 1992 et fut offerte par l’artiste en 1995.

Le choix d’une artiste montréalaise en cohérence avec la mission du musée.

  • L’artiste est reconnue sur la scène internationale : Cadieux représenta le Canada à la 44ème biennale de Venise en 1990 avec La fêlure, au chœur des corps, qui consiste en deux paires de lèvres s’embrassant, encadrées par deux cicatrices, non sans rappeler La Voie Lactée. Acclamée par la critique, elle expose ensuite dans de nombreux musées et galeries à travers le monde: elle a plusieurs fois représenté le Canada, à la biennale de Montréal (2000), à la biennale de Sydney, en Australie (1988, 1990) et à la biennale de Sao Paolo, au Brésil (1987).
  • Si les œuvres de l’artiste sont présentes à travers l’Europe et les États-Unis, elle expose aussi plusieurs fois en solo, comme du 30 mars au 30 mai 1993 au Musée d’Art Contemporain de Montréal, et choisit d’explorer la problématique du corps dans les œuvres de Cadieux.
  • Le musée d’Art Contemporain renferme de nombreux chefs d’œuvres d’artistes montréalais tel que Paul-Emile Borduas, dont les tableaux sont souvent mis en valeur lors d’expositions semi-permanentes comme récemment avec La question de l’Abstraction. Ceci est en cohérence avec la mission du musée qui est de promouvoir des artistes contemporains internationaux mais aussi québécois, comme l’indique clairement l’institution :
  • « Le Musée d’art contemporain de Montréal a été fondé en 1964 par le gouvernement du Québec à la demande d’artistes et de collectionneurs montréalais qui souhaitaient qu’une institution soit chargée de constituer une collection d’œuvres actuelles d’artistes d’ici. »
  • Il n’est ainsi pas étonnant que le musée ait choisi une œuvre de l’artiste montréalaise Geneviève Cadieux (née en 1955 à Montréal) comme œuvre symbolique pour l’ouverture du nouveau musée. La voie lactée représente un lieu de passage entre deux mondes, « elle marque aussi une frontière entre le monde du mouvement et l’immobile éternité ».
  • Ainsi Geneviève Cadieux est invitée par le musée en 1992 à présenter un projet célébrant le 350ème anniversaire de Montréal ainsi que l’ouverture du musée lors d’une exposition à caractère social intitulée Pour la suite du Monde. Ayant carte blanche, Cadieux choisit d’abord de travailler en extérieur, présentant deux immenses panneaux photographiques qui représentaient un détail de nuage et une ecchymose, avant de composer finalement une autre version, La Voie Lactée. Cette dernière étant bien plus en cohérence avec le musée comme le souligne Cadieux dans un article de La Gazette :
  • « It’s a familiar Montreal icon […] getting those lips on the roof was quite a coup […] Cadieux recalled that she initially wandered about the museum in search of inspiration for an installation piece involving clouds, ‘but it never worked.’ However, the immense lips turned out to be perfect […] Cadieux envisioned them against clouds as an advertising moment with nothing to sell, ‘they have their own status,’ she says. ‘Suddenly I looked up and – that’s it (she snaps her fingers). It can’t be more against the sky if I use the roof’. »
  • L’œuvre exposée seule sur le toit, bénéficie ainsi d’un statut autonome. La conservatrice Josée Bélisle elle-même admet l’importance de l’œuvre lors de l’ouverture du nouveau musée : « La Voie Lactée de Geneviève Cadieux est certes l’une des œuvres phares du Musée d’Art Contemporain de Montréal ».
  • L’œuvre fut aussi grandement saluée par la presse comme en témoignent de nombreux articles présents dans les archives et la médiathèque du musée : « L’œuvre de Geneviève Cadieux resplendit dans le ciel de Montréal. Comme si elle y avait toujours appartenu, comme si elle y était destinée. Elle sauve l’architecture exigüe et anguleuse du musée. Ces lèvres sont en voie de devenir le nouvel emblème de la ville, la nouvelle croix du Mont royal, version centre-ville ». Et Cadieux ajoute, « ce que j’aime de cette œuvre c’est qu’elle appartient à la ville, elle appartient au paysage urbain ». L’œuvre bénéficia ainsi d’une large couverture médiatique lors de son installation qui contribua à en faire l’œuvre phare du MACM.

Une œuvre en permanence exposée.

  • Il est important aussi de souligner que le musée possède La Voie Lactée depuis 1995 après que l’artiste a fait don de l’œuvre, aux seules conditions suivantes qui sont inscrites dans le contrat :
  • 1) Que l’artiste approuve les clichés photographiques qui seront utilisés à ces fins.
  • 2) Que les reproductions ne se chevauchent jamais sur deux pages à moins d’obtenir à cet effet la permission expresse de l’artiste.
  • L’emplacement de l’installation de Cadieux n’est pas lié au hasard car l’artiste travaille logiquement avec le lieu que son œuvre habite. Contrairement aux œuvres issues de la collection permanente du musée (environ 7 000) qui sont exposées à tour de rôle dans différentes expositions thématiques, La Voie Lactée a toujours été présente sur le toit du musée depuis l’ouverture comme une œuvre symbolique surplombant la ville. L’œuvre est exposée aux yeux de tous les passants de la rue Sainte Catherine au croisement avec la rue Jeanne-Mance. C’est cet emplacement inhabituel d’une œuvre hors les murs qui attire les curieux et les invite à rentrer dans le musée. L’œuvre est constamment exposée au regard de par son emplacement extérieur, elle est visible de jour comme de nuit marquant profondément le lieu qu’elle occupe.

Une relation entretenue avec l’artiste

  • Le musée d’Art Contemporain possédait cinq œuvres de Geneviève Cadieux lorsque La Voie Lactée fut acquise et il est évident que cette installation occupe toujours une place importante au sein de la collection du musée. L’artiste est basée à Montréal ce qui facilite les échanges avec le musée lorsqu’il a besoin de correspondre avec l’artiste. L’œuvre fait l’objet d’un suivi régulier quant à son état de conservation. En 1996 l’œuvre est restaurée une première fois : le panneau est consolidé et une nouvelle impression photographique est faite. En août 2007, une autre restauration majeure est réalisée par BO Concept, la toile est démontée puis coupée pour être emmenée dans le laboratoire de restauration. L’œuvre étant exposée aux intempéries, le musée se doit de faire un suivi précis de l’état de conservation s’il veut conserver son objet phare en bon état. L’œuvre fut aussi estimée par la galerie Rochefort en 1994 à 57 000 dollars canadiens de par son excellente condition de conservation et de par la réputation de l’artiste reconnue sur la scène internationale. Cependant les archives montrent que d’autres estimations évaluèrent ensuite l’installation à 58 700 dollars.
  • L’artiste a aussi remis au musée un transparent couleur permettant de faire de nouveaux tirages, qui est précieusement conservé dans les archives du musée. Car le type d’impression sur la toile possède une longévité de 1 à 3 ans, si un film bloquant les rayons ultra-violets est posé en surface. L’artiste a aussi autorisé la reproduction de l’œuvre sur des cartes postales présentes dans la boutique du musée.

La « voie » fait écho en France.

  • Si à Montréal l’installation symbolise l’art urbain, une autre œuvre similaire est présente dans la bouche du métro Saint-Augustin à Paris. Ainsi l’œuvre représentative de la ville fut choisie pour l’occasion. La paire de lèvres faite de mosaïque intitulée La Voix Lactée est un cadeau de la STM au métro parisien (RATP), pour son aide lors de la construction du métro de Montréal dans les années 60 et aussi suite au don en 2003 de l’entourage d’accès au métro réalisé par Hector Guimard. La mosaïque de verre fut inaugurée en 2011 et s’accompagne des lignes d’un poème d’Anne Hébert.
  • Le musée d’art contemporain possède beaucoup d’informations sur Geneviève Cadieux et sur la Voie Lactée. L’œuvre est suivie de près par le musée qui prend à la fois soin de sa conservation et de sa relation avec l’artiste (Geneviève Cadieux est souvent sollicitée par le musée avec lequel elle entretient des relations étroites. Nous pouvons affirmer que l’œuvre est vraiment iconique de par son emplacement permanent sur le toit du musée, et aussi de par le choix d’une artiste montréalaise internationalement reconnue dans le monde de l’art contemporain. L’installation de l’œuvre lors de l’ouverture du musée fut largement couverte par la presse qui en reconnut directement l’importance. La Voie Lactée fut explicitement conçue pour célébrer l’ouverture du nouveau musée et a donc clairement le statut d’œuvre fondatrice.
  • « S'il y avait eu un procédé me permettant de faire une photo en couleurs de cette dimension, deux lèvres flottant au-dessus d'un paysage, je l'aurais certainement préféré. » - Man Ray, Autoportraits

Introduction

  • « La Voie lactée » de Geneviève Cadieux flotte dans les airs de Montréal depuis maintenant près de vingt ans. Si elle a réussi à s’imposer dans le paysage urbain jusqu'à devenir le symbole du Musée d’art contemporain de Montréal, ce n’est pas moins grâce à l’attention toute particulière du personnel du Musée, des critiques et journalistes du milieu des arts.
  • Les archives du Musée sont malheureusement bien silencieuses quant au processus décisionnel entourant l’installation – le choix de l’artiste, de l’œuvre et son emplacement – ainsi qu’à sa propre perception de l’œuvre. C’est par un épluchage méthodique des sources – les catalogues d’exposition, les dossiers de presse et le dossier de l’œuvre – que nous sommes arrivés à lire entre les lignes et à déceler la véritable place que « La Voie lactée » occupe au sein de la collection permanente du MACM.

Geneviève Cadieux et « La voie lactée »

  • Geneviève Cadieux, née le 17 juillet 1955 à Montréal, est une photographe à la réputation internationale. Elle représente même le Canada lors de la quarantième Biennale de Venise en 1990. Son travail photographique se rapporte essentiellement au corps en tant que support physique et spirituel. Par la technique du gros plan, Geneviève Cadieux arrive à toucher le visiteur au plus profond de lui, le questionne sur sa propre identité et son rapport au réel et au toucher. « En exploitant les capacités de stimulation que proposent ces médiums [la photographie, la vidéo et l’illustration sonore], elle met en scène le spectateur, qui se voit confronté au discours de l'artiste ainsi qu'à ses propres réactions émotives et sensorielles ». Et en fragmentant ses images, elle tente aussi de se rapprocher encore plus près de l’intime, du visible, de la peine montrée et montrable. La violence des photographies, confinées dans un espace clos, ne laisse au visiteur « aucun échappatoire », « son attention est monopolisée ».
  • « [S]olidairement attachée à la Ville de Montréal, le nom de Geneviève Cadieux n’appartient pas moins au patrimoine international de l’art contemporain ». Le corps est en effet unique et multiple, physique et spirituel. Ses photographies sont autant de signes perceptibles par tous. À tel point que Marcel Brisebois, alors directeur du Musée d’art contemporain de Montréal, écrit : « l’œuvre de Geneviève Cadieux a connu une diffusion de plus en plus importante sur la scène internationale, à tel point que certains pourraient estimer que l’amateur étranger en a peut-être une connaissance plus étendue que nos propres concitoyens ».
  • « La Voie lactée » est installée sur le toit du MACM, face à la rue Sainte-Catherine. Elle est constituée d’un panneau lumineux enchâssé dans un boîtier d’aluminium. La photographie est obtenue grâce à un « procédé informatisé d’impression par jet d’encre sur [une] toile translucide et flexible » mesurant 183 cm x 457 cm. La nuit, l’œuvre est éclairée par des néons. Lors de son installation en 1992, la toile était imprimée des deux côtés. En 2008, le MACM n’expose qu’une impression au recto. Notons qu’aucun document dans les archives ne permet de retracer le processus décisionnel qui a permis ce changement ni la position de Geneviève Cadieux à cet égard. Il semblerait que le choix est relevé de l’institution elle-même, propriétaire de l’œuvre. Nous pouvons supposer que la réimpression régulière de « La Voie lactée » impose une restriction du budget alloué à sa conservation et, par conséquent, une impression sur une face uniquement. Il n’y a d’ailleurs aucune note de la part de l’artiste concernant le maintien de l’intégrité de l’œuvre dans son état d’origine.
  • Geneviève Cadieux donne en dépôt au MACM « La Voie lactée » à l’occasion de l’exposition inaugurale de 1992 et très certainement aussi pour la rétrospective qui lui est consacrée en 1993. Le 20 décembre 1994, l’institution accepte le don proposé préalablement, l’œuvre est intégrée à la collection permanente du Musée et fait partie de l’exposition « Dons 1989-1994 ».
  • Le MACM déménage de la Cité du Havre et inaugure son nouvel espace le 28 mai 1992. Désormais au cœur des festivités culturelles montréalaises, le directeur, Monsieur Marcel Brisebois, souhaite faire du Musée le pivot central de l’art contemporain aussi bien pour la ville que pour le Québec et même le Canada.
  • Geneviève Cadieux, artiste montréalaise mondialement connue, réalise « La Voie lactée ». Le Musée l’installe sur le toit et en fait une des pièces maîtresses de son exposition inaugurale « Pour la suite du Monde » – du 26 mai au 11 octobre 1992. Le MACM va jusqu’à en faire l’élément représentatif de l’événement, la photographie de nuit des lèvres fait la couverture du catalogue. Notons néanmoins que nous ne savons pas si le Musée a lui-même proposé à Geneviève Cadieux de réaliser une installation photographique ou si c’est elle qui a suggéré sa participation. De plus, les archives ne nous révèlent rien quant au choix du sujet photographique : pourquoi des lèvres ? Quel est le symbole proposé par l’artiste et accepté par l’institution ? Enfin, le choix de l’emplacement de « La Voie lactée » – sur le toit du Musée – est quelque peu énigmatique. Est-ce le directeur Monsieur Marcel Brisebois qui en a décidé ainsi ? Pourquoi ?
  • Toujours est-il que Geneviève Cadieux est une habituée des comités d’acquisition du MACM. En 1992, trois de ses œuvres font déjà partie de la collection du Musée. De plus, Gilles Daigneault remarque : « Pour l’exposition « Elementa Naturae » qui occupe les jardins est du Musée d’art contemporain de Montréal à la Cité du Havre (1987), elle réalise « Nature morte aux arbres et aux ballons», un diptyque photographique enchâssé dans une grande boîte lumineuse utilisée normalement en publicité, dont l’imagerie intègre des éléments de la vraie nature ».
  • Le MACM a donc décidé de réitérer avec ce genre d’installation, mais pour quelle(s) raison(s)? De plus, « La Voie lactée » est en fait inspirée de travaux précédents de l’artiste : « Eclipse » et le diptyque « Amour aveugle » réalisé lui aussi en 1992. Enfin, en recoupant différentes sources des archives du MACM, nous avons compris qu’elle avait installé un panneau d’affichage représentant la même paire de lèvres que celle de Montréal sur le toit du Roppongi à Tokyo. Le MACM conserve d’ailleurs la « version japonaise [...] [servant] de gabarit à la réimpression de l’image ». Et c’est aussi avec l’œil de l’amateur d’art que nous remarquons que Geneviève Cadieux empreinte le motif des lèvres à Man Ray : « À l’heure de l’observatoire – Les Amoureux ». Dans le tableau, les lèvres flottent aussi dans le ciel d’une ville. Cadieux va donc plus loin que le courant surréaliste puisqu’elle nous propose une vision hyper réaliste de ces dernières, flottant véritablement dans Montréal, ville non plus imaginaire, mais bel et bien palpable.
  • L’œuvre de Geneviève Cadieux est exposée sur le toit du MACM. Visible depuis la rue Sainte-Catherine, elle attire l’œil et les interrogations des piétons. Mais elle fait aussi partie du quotidien des Montréalais qui la perçoivent maintenant comme un élément architectural et décoratif de la Ville. Julie Lavigne écrit à ce sujet : « c’est donc davantage du côté du public que du privé ou de l’intime que la revendication de « La Voie lactée » ».
  • La bouche de Geneviève Cadieux « sauve l’architecture exsangue et anguleuse du musée » fait de béton blanc et de métal noir. L’artiste montréalaise personnifie alors l’institution jusqu’à rendre, dans l’imaginaire du passant, l’art contemporain plus humain et donc, plus accessible et compréhensible. Ainsi, le MACM, dès son inauguration, se pose en être humain, sensible et en mouvement.
  • Dans un deuxième temps, l’institution met en avant sa part de féminité, de rondeur et de volupté. Le MACM, en exposant les lèvres colorées de rouge, se fait objet de désir et de fantasme. Les femmes ont l’impression d’être happées par une énième publicité de cosmétique, les hommes ont le sentiment qu’une voix leur murmure de doux poèmes.
  • Mais c’est en analysant bien « La Voie lactée » que le visiteur remarque qu’il s’agit de lèvres vieillissantes, celles de la mère de l’artiste en réalité. Le MACM se positionne alors en tant que mère : mère nourricière, mère protectrice, mère porteuse. Il s’instaure un dialogue à plusieurs voix et voies – le public avec le musée, les visiteurs entre eux, les artistes avec l’institution et entre eux. Et nous comprenons alors le titre « La Voie lactée ». Geneviève Cadieux a peut-être voulu, par ce biais, définir le Musée comme indispensable à la création artistique montréalaise, comme si ses expositions nourrissaient de son lait l’inspiration des artistes contemporains. Mais il paraît aussi que le MACM tente de montrer la voie de l’art contemporain par la voix de son toit.
  • Par « La Voie lactée », le MACM affiche dès son exposition inaugurale son désir d’exposer des artistes montréalais de renommée mondiale et se positionne alors aussi sur la scène contemporaine internationale. Comme si Geneviève Cadieux devenait, par son œuvre, l’ambassadrice – et même la protectrice – de la renaissance du Musée.
  • Le MACM, en sortant ses lèvres, invite les passants chez lui et joue de la dialectique intérieur-extérieur. « La Voie lactée » est donc un moyen de médiation, intrigant les piétons tout en guidant leurs pas vers la porte d’entrée. Et c’est réellement dans son acception première que nous pouvons analyser la bouche. Elle se situe dans un entre- deux, ce n’est pas totalement le Musée ni véritablement l’espace public de la rue. Son interprétation est partout possible : dehors les yeux pointés vers le ciel, au-dedans avec un guide. Le MACM a-t-il voulu, en installant sa bouche sur le toit, attirer plus de visiteurs ou démocratiser la création contemporaine en la rendant accessible au plus grand nombre ?
  • « La Voie lactée », illuminée la nuit, agit aussi comme un phare qui guiderait les hommes vers une sorte de terre promise, celle de la culture, de l’art et de l’actualité. Elle est donc bel et bien « œuvre phare » du MACM mais aussi de la Ville. Son titre fait référence à notre galaxie. Est-ce Geneviève Cadieux qui l’a choisi ? Quelle en est son interprétation ? Dans tous les cas, l’installation agit comme une nouvelle étoile du berger, qui nous guide encore une fois. Et le journaliste Stéphane Aquin parle de « La Voie lactée » comme « la nouvelle croix du Mont-Royal, version centre-ville ». Les lèvres du MACM font donc partie intégrante du paysage montréalais. Elles sont ainsi élevées à un statut presque religieux, comme si aller au musée de la Place des Arts relèverait d’un pèlerinage. Mais, en presque vingt ans, la bouche de Cadieux a-t-elle réellement réussi à concurrencer l’un des principaux symboles de la Ville ?
  • « La Voie lactée » est donc, selon Julie Lavigne, « une manifestation culturelle, politique et publique de l’intime ». Elle n’a pas été muséalisée à proprement parler puisqu’elle a été réalisée pour le Musée et, par déduction, pour être installée sur le toit. Sa muséalisation réside plutôt dans le fait que le MACM en a fait « une sorte de logo aux multiples facettes.

Conclusion

  • « La Voie lactée » constitue – et le MACM le dit lui-même – un véritable symbole pour l’institution. Juchée sur son toit, la bouche murmure des poèmes et incite les passants à franchir le pas de l’art contemporain. Le Musée, pour marquer sa renaissance et son implantation au centre-ville, a choisi Geneviève Cadieux, artiste phare de la scène nationale et internationale. Il est donc presque naturel que « La Voie lactée » soit devenue un emblème à la fois du Musée d’art contemporain – muséal – et de la Ville – municipal. Elle n’appartient plus vraiment à l’institution, mais plutôt à l’ensemble des Montréalais et fonctionne comme média entre les deux mondes – le monde public de la rue et le monde plus fermé de l’art. Et si « La Voie lactée » n’a été prêtée qu’une seule fois en 2001 à la Beaverbrook art galerie au Nouveau-Brunswick, sa sœur jumelle arrivera dans les couloirs du métro parisien en octobre. « Réalisée en mosaïque de verre » et intitulée « La Voie lactée » cette fois-ci, les lèvres de Geneviève Cadieux murmureront un texte d’Anne Hébert aux Parisiens pressés.

NB: Traduction en anglais déjà incluse dans le livre

Michel Labrecque, Président du conseil d’administration, Société de transport de Montréal :

  • En 2011, la STM célèbre les 150 ans de son réseau de transport collectif à Montréal. En effet, c’est le 27 novembre 1861 que circulérent dans les rues de la métropole les premiers tramways, tirés par des chevaux. Que de chemin parcouru depuis, au propre comme au figuré! Si entreprise a changé de nom a quelques reprises au fil des ans, elle a toujours su remplir sa mission: fournir aux Montréalais un service de transport rapide, fiable et économique.
  • Le métro de Montréal est la pierre angulaire de ce service de transport. Il a été congu durant les années 1960 avec l’assistance technique de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), ce qui nous a permis d’inaugurer en 1966 un métro entiérement sur pneumatiques dont nous sommes encore tres fiers. C’est dans cet esprit de coopération que la RATP a prêté la même année au métro de Montréal un splendide entourage d’accès du métro parisien, réalisé vers 1900 par I'architecte Hector Guimard.
  • Ce prêt s’est transformé en don en 2003 apres la restauration complète de l’entourage de la station Square-Victoria par la RATP, avec la participation du Quartier international de Montréal. En échange, la STM s’est engagée a remettre au métro de Paris une oeuvre d’art ayant pour thème la langue française. C’est maintenant chose faite avec l'installation à la station Saint-Lazare de La Voix lactée, oeuvre remarquable de l'artiste montréalaise Genevieve Cadieux.
  • Fière de son passé, ancrée dans le présent et tournée vers l'avenir, la STM est heureuse de souligner avec le don de cette oeuvre le 150e anniversaire de son réseau. Ce geste est d’autant plus symbolique qu'il est réalisé dans le cadre du 50° anniversaire de la Délégation générale du Québec en France. Je souhaite que cette oeuvre exprime a tout jamais esprit de coopération et de fraternité qui unit Montréal et Paris.

Geneviève Cadieux :

  • Au commencement était le Verbe ? Certes. Mais plus en amont encore, avant même le langage, il y a le corps qui le porte, il y a la bouche qui l'émet.
  • "Bien avant les images et les couleurs / La source du chant s'imaginait / A bouche fermée / Comme une chimère captive", ... écrivait Anne Hébert, l'une des plus grandes voix littéraires françaises du Québec, une femme qui, comme on le sait, a passé plusieurs années de sa vie a Paris.
  • Bien connue des Montréalais, l'installation intitulée La Voie lactée, juchée tout en haut du Musée d'art contemporain de Montréal, se dédoublera, se transmuera, se métamorphosera. Telle est mon intention en proposant aux usagers du métro parisien une réinvention de cette Voie lactée, une habitation a la fois physique et poétique de la station Saint-Lazare, une inscription vibrante de la source du langage dans ce lieu de passage et de circulation qu’est le métro.
  • Circulation: voila le mot fondateur du projet. La Voie lactée rendait hommage à Man Ray, à cet artiste américain établi a Paris. Elle prenait la forme d'une libre variation sur A heure de l'observatoire — Les Amoureux, un tableau mythique de Man Ray qui représente les lèvres de son assistante et amante, la photographe Lee Miller. De l'Amérique a Paris: aller et retour. Et aller-retour de l’Amérique a Paris avec cette recréation de La Voie lactée, que les passagers aborderont d'une manière différente, dont ils feront l'expérience autrement.
  • Vue de loin à Montréal, abordée de près à Paris, La Voie lactée devient La Voix lactée. Les deux oeuvres en écho proposent des expériences perceptuelles et esthétiques uniques. La Voie lactée et La Voix lactée se distinguent à la fois par la lettre qui permet de passer d'une signification a une autre, par leur matérialité et par la portée du regard posé sur elles.
  • L'une est lumineuse, évanescente et lointaine; l'autre tactile et chatoyante, en mosaïque de verre. Toutes deux sont visibles de jour comme de nuit, marquent, chacune a sa manière, l'espace qu’elles occupent. A proximité du regard et du corps du passager, sur un registre éminemment poétique, La Voix lactée appelle le regard des usagers du métro de Paris vers la «source du chant»: rencontre intemporelle du lieu, de l'image et des mots dans le blanc lacté d'un couloir souterrain.
  • Oeuvre ouverte, La Voix lactée détourne provisoirement le passager de sa voie, happe le piéton urbain hors de sa grisaille, le projette dans un espace aussi vaste que la Voie lactée : celui du corps, de la bouche, des lèvres, source de la voix, source du langage, source de toutes les expressions de soi, de toutes les inscriptions de soi dans le monde. Une échappée belle et saisissante.

Marie Cadieux :

  • Depuis trente ans, Geneviève Cadieux élabore une œuvre remarquable et singulière où elle explore les enjeux de la représentation tout en renouvelant les possibilités du médium photographique. Elle figure parmi les artistes les plus importants d'une génération que l'on associe à l'émergence de la photographie comme discipline majeure de l'art contemporain. A la fois poétique et conceptuelle, son œuvre propose une réflexion sur le corps et le paysage, en abordant les aspects les plus profonds de l'être et, plus particulière ment, de la femme.
  • Installée sur le toit du Musée d'art contemporain depuis sa réouverture au centre-ville en 1992, l'immense photographie lumineuse La Voie lactée trône sur Montréal et aujourd'hui dans la station Saint-Lazare du métro de Paris. Réalisée cette fois en mosaïque de verre, la représentation des lèvres empruntée à un célèbre tableau de Man Ray devient La Voix lactée, accessible aux passagers dans un des couloirs souterrains du métro. D'une envergure sans précédent dans la production de l'artiste, cette réalisation d'art public vient couronner une carrière internationale dont la renommée ne cesse de croître depuis la fin des années 1980. Acclamée par la critique depuis qu'elle a représenté le Canada à la prestigieuse XLIVe Biennale de Venise en 1990, Geneviève Cadieux expose dans les grandes institutions de par le monde : au ICA à Londres et à Amsterdam, en 1992, à la Tate Gallery dans le cadre d'Art Now 3, en 1995, à Times Square à New York, en 2002, pour n'en nommer que quelques-unes. Sa présence sur la scène française est marquée par les deux grandes expositions individuelles que lui ont consacrées le Nouveau Musée, Institut d'art contemporain à Villeurbanne, et le Musée départemental de Rochechouart, respectivement en 1994 et en 1992 et, plus récemment par l'exposition de son oeuvre Voices of Reason / Voices of Madness, 1984, et dans l'accrochage consacré aux femmes artistes de la Collection du Musée National d'art moderne, Centre Georges Pompidou, elles@centrepompidou, de 2009 à 2011, pour ne nommer que les plus importantes expositions. En 1993, le Musée d'art contemporain de Montréal présente un premier bilan critique de ses œuvres mettant en évidence la profondeur avec laquelle Geneviève Cadieux aborde la question de la représentation du corps. Également présente sur la scène nationale et enracinée au sein de la communauté par ses activités d'enseignement à l'Université Concordia, Geneviève Cadieux est une référence pour les artistes émergents et apporte une contribution majeure au climat critique et intellectuel de l'art québécois et canadien.

Josée Bélisle :

  • Inscrite dans l'immensité cosmique, la Voie lactée habite l'imaginaire universel : la longue traînée lumineuse blanchâtre évoquerait, entre autres, la soif d'éternité d'Héraclès, le chemin des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, voire même celui des musulmans vers La Mecque, ou encore, pour les Chinois, un vaste fleuve aboutissant à un abîme sans fond. La Voie lactée apparaît dans la nuit comme une voie de pas sage du terrestre au divin, de l'ici et maintenant vers un ailleurs.
  • La Voie lactée de Geneviève Cadieux est certes l'une des œuvres phares du Musée d'art contemporain de Montréal. Réalisée au moment de l'exposition Pour la suite du monde, l'une des deux expositions inaugurales soulignant l'ouverture du nouvel édifice du Musée en 1992, La Voie lactée a littéralement ancré à contre-ciel une image forte et désarmante, expressive et laconique. Empruntant son iconographie au tableau de Man Ray, À l'heure de l'observatoire - Les Amoureux, 1932-1934, le panneau lumineux fusionne les références artistiques et personnelles, en positionnant d'emblée au sein de la représentation (la réalité du paysage) l'image d'une bouche entrouverte - celle de la mère - suggérant poétiquement le symbole du langage, de la puissance créatrice et de l'origine de l'être.
  • De Montréal à Paris, du toit du musée au corridor du métro, de la voûte céleste aux profondeurs souterraines, La Voie lactée, devenue La Voix lactée, incarne différemment ce vibrant paradoxe d'ombre et de lumière, de silence et de parole, qui la nourrit. Main tenant enchâssée dans la brillance d'innombrables pièces de céramique de verre, la trame lumineuse de l'image a migré de la pellicule transparente à la matérialité d'une substance dense et pourtant évanescente.
  • Alors qu'elle surplombe l'agitation urbaine depuis déjà près de vingt ans du haut d'une apparente placidité, elle s'immisce dorénavant, en leur faisant face, au cœur des déplacements quotidiens d'une foule pressée et préoccupée.
  • Cette nouvelle Voix lactée réitère, dans un registre différent, les préoccupations de la précédente. La nature de l'être transparaît dans la représentation du corps. Le paysage-portrait intemporel ainsi recréé s'impose comme point de rencontre du corps et de l'esprit. L'intégration et la visibilité de l'œuvre d'art en milieu urbain altèrent l'identité du lieu et le comportement du spectateur citadin. La « voie » de passage se dédouble par la présence réaffirmée de la «voix». Il y est à nouveau question de parole et de prise de parole. Et cette fois, un court texte d'Anne Hébert figurera sur un mur adjacent : « Bien avant les images et les couleurs / La source du chant s'imaginait / A bouche fermée / Comme une chimère captive ».
  • La parole féminine et l'idée du son traversent en effet l'œuvre de Geneviève Cadieux. Manifeste et percutant dans l'installation Voices of Reason/Voices of Madness (Les voix de la raison/Les voix de la folie), 1983, et suggéré de manière explicite, quoique silencieuse, dans les images troublantes et saisissantes de Hear Me with Your Eyes (Ecoute-moi avec tes yeux), 1989, le son devient, dans Broken Memory (La mémoire brisée), 1995, une voix incarnée dans l'espace, se projetant par et hors du corps. Cette dernière installation propose un grand volume de verre trapézoïdal incorporant l'appareil technique associé à la diffusion du son. Concise et monolithique, voire minimale, la forme sculpturale se disloque métaphoriquement et se répand dans une suite sonore de pleurs et de gémissements. Les parois transparentes de ce mausolée postmoderne révèlent l'absence et la disparition, mais aussi l'image reflétée du spectateur à l'écoute de l'expression d'une souffrance universelle, transposée à l'expérience personnelle. Cette œuvre spectaculaire dévoile une part de la tragédie humaine sans narration ni discours, par le seul biais d'une voix féminine dont les cris et les sanglots occultent les mots, tout en brisant littéralement le silence de la mé moire collective. Cette œuvre s'inspire du poème Words to Be Sung (Des mots qu'il faut chanter) de Sœur Juana Inéz de la Cruz (1651 -1695) dans lequel il est dit que : « Let sorrow emerge in full clamour, / for true grandeur to make itself known, / and to prove that insufferable anguish / can never remain unrevealed. »
  • « Que la douleur sorte à grands cris / si elle veut montrer sa grandeur, / et pour prouver que l'insoutenable angoisse / ne doit pas demeurée secrète. »
  • Le réexamen de l'œuvre de Geneviève Cadieux confirme à l'évidence l'extraordinaire profondeur et l'irrésistible pouvoir d'attraction d'une pratique essentiellement photographique questionnant depuis plus de trente ans les enjeux de la représentation. Parce que dans ses images elle cible avant tout la personne (l'enveloppe corporelle, intacte ou fragmentée) et le paysage (vastes étendues, vues lointaines, détails magnifiés) au fil de leurs surfaces, comme pour s'attarder longuement à leur lecture et en scrutant leur profon deur, elle expose radicalement les questions de genre et d'identité et celles du cycle de la vie et de l'expé rience, de la vulnérabilité et des états d'âme. Il se dégage de l'ensemble des qualités esthétiques d'une dimension à la fois singulière et universelle qui participent de sa contribution au renouvellement du médium photographique au cours des années 1980. Geneviève Cadieux propose, dans ses travaux et installations photographiques, projectives et audio visuelles à grande échelle, une vision des êtres et des choses qui, tout en se présentant sur le mode de la clarté et de l'intensité, n'en repose pas moins sur une oscillation poétique et dynamique entre des pôles contrastés : le clinique et le sublime, l'abrasif et l'élé gant, la dureté et la tendresse. La lisibilité de structure côtoie le pouvoir d'évocation du flou. De la spectaculaire vue d'ensemble à l'extrême du détail cutané se dégagent avant tout l'intégrité et l'expressivité d'une intuition souveraine. Elle a recours à des stratégies de mise en image diversifiées, empruntées au cinéma ou aux communications, par exemple, de la même manière qu'elle n'hésite pas à s'inspirer de la mise en scène théâtrale et de la scénographie. Il en résulte des oeuvres autonomes, originales, dont la charge intimiste atteint une expressivité phénoménale, et dont le caractère à l'occasion inclassable s'inscrit résolument dans le champ de l'art. Dans Le Corps du ciel, 1992, l'idée du corps envisagé comme paysage se cristallise de manière exemplaire. D'un très grand format, l'image d'une ecchymose est juxtaposée à celle d'un ciel nuageux. Le balayage de la peau et les tonalités de la chair meurtrie se trans posent par osmose en un paysage corporel mis sous observation en parfaite symbiose avec celui des possibles blessures de l'âme de corps célestes. D'autres grands paysages, Pour un oui, pour un non, 2000, et Portrait, 2000, par exemple, campent les questions de points de vue, de spécificités de plans, de montage, du bougé dans l'image fixe, et ce, à partir de simples images d'arbres incarnant, au gré des vents et au sein de l'univers, une présence et une stature particu lières, arborant une allure stoïque, voire héroïque. Ces représentations de paysage comportent un foison nement d'informations exposant la saturation de la lumière (Mind, 2003-2004), la plénitude dense et fron tale (Rivière noire, 2008-2009), l'élément isolé comme dans un portrait (Arbre flou, 2008-2009), ou encore en gros plans, comme à l'examen sur la lamelle d'un microscope (Anémone, 2008-2009). Si certains motifs et figures resurgissent ponctuellement à travers l'œuvre de Geneviève Cadieux, c'est qu'ils ont acquis le statut informel d'archétypes, reconnaissables, facilitant l'approfondissement de l'expérience et la compréhension du monde. Les lèvres, les yeux et les cicatrices deviennent de puissan tes images miroirs posées différemment dans l'espace; les portraits de famille atypiques et bouleversants proposent le bilan formel d'une érosion physique et psychologique à teneur universelle. Dans Barcelone, 2003, l'on observe avec intérêt le chassé-croisé chorégraphié entre une femme et un homme évoluant dans un espace complètement dépouillé, à l'occasion hors cadre et hors champ. Un fil ténu de narration s'installe à coup de possibilités diverses de scénarios et dénouements. Cet après-midi là (enchantement), 2006, résout en trois temps - irrésistible grâce de l'enfance féminine, flore somptueuse et faune exotique - l'idée de l'instant merveilleux et fugitif. L'artiste et écrivain Rober Racine nous a précisé ceci, à propos de l'œuvre de Geneviève Cadieux et de ce qu'il nomme «l'écriture de l'artiste » : « Il y a enfin le titre qui confie au spectateur l'amour que porte l'artiste au pouvoir magique des mots. » En effet, depuis cette incantation lancinante Hear Me with Your Eyes, empruntée à Sœur Juana Inéz de la Cruz, à l'elliptique La Fêlure au chœur des corps (Pavillon canadien de la Biennale de Venise), d’ Écho, Éclipse à Amour aveugle, et de Trou de mémoire, la beauté inattendue à La blancheur de la mémoire et à Broken Memory, un recueil inspiré, unissant mots succincts et images métaphoriques, dé file sous nos yeux dans le plus grand «ravissement».
  • Avec l'adéquation remarquable entre le corps du paysage et le paysage du corps, l'artiste nous rappelle enfin à quel point le corps est une surface sensible qui enregistre les marques tangibles et irrévocables du passage du temps. Apparemment immuable, mais pourtant si sensible aux forces de la nature, le paysage capté dans le réel traduit également les effets de l'or dre - et du désordre - des choses.